Parapente mono-surface, qu'en pense le spécialiste ?

Fabien blanco (boss de l'école FLYEO) est un spécialiste de la siv, de la voltige et des ailes mono-surface pour lesquelles il a réalisé de superbes tutos (à voir sur YouTube). que pense-t-il des voiles mono surface ?

La version originale de cet article a été édité et publié dans Parapente Magazine en 2024.

Alors, que penses-tu de ces voiles simplifiées ?

C'est un outil de niche. Il reste dédié au "fast and light", au "trail and fly" et à l'alpinisme tech­nique. Mais c'est aussi un outil facile pour passer du bon temps et voler sereinement.

Quels sont leurs principaux avantages et inconvénients ?

Avantages : légèreté, compacité, facilité de décollage sur terrain court, capacité à se poser sur des terrains courts, capacité à traver­ser la turbulence avec un petit ni­veau de pilotage.

Inconvénients : manque de performance face au vent comparé à une aile bi-sur­face, manque de polyvalence.

Ce déficit de performance est-il pénalisant ?

Non ! C'est vrai que les perfor­mances ne sont pas les mêmes, mais elles ne peuvent pas être comparées non plus. Si tu prends un 4x4 et une routière, chacune sera à l'aise dans ses domaines de prédilection, et beaucoup moins dans les autres. Quand tu voles avec une mono-surface, tu sais quel type de vol tu vas chercher, en l'occurrence descendre de la montagne. Le décollage est aisé, la manœuvrabilité est intui­tive et le posé précis. Si tu veux faire du soaring, du thermique ou du petit cross, elle sera capable de le faire, mais elle demandera au pilote plus de compétence en placement et en optimisation de trajectoire. Là où l'aile est moins performante, le pilote doit être meilleur ! Donc si tu vises un vol complexe en montagne avec des traversées de cols en plein après-midi d'été, il te faudra être très bon en gestion de la masse d'air pour rejoindre ton objectif. Les ailes mono-surface sont des outils formidables mais qui ont leurs limites technologiques.

Fabien est vu de derrière avec son parapente rouge au dessus de la tête

Une mono-surface réclame donc plus de compétence ?

Le comportement du pilote reste la base de la logique aérienne. Qu'il s'agisse d'une mono ou d'une double surface, le plus im­portant sera toujours une bonne préparation du vol, une bonne connaissance de la performance et des réactions de l'aile, une bonne analyse de l'aérologie, une bonne conscience de ton niveau de pilotage. Une mono-surface est une aile facile mais pas une "google-car", il faut prendre les bonnes décisions et piloter sa tra­jectoire !

"La faible inertie, la réactivité de contrôle au sol, la stabilité pendulaire des ailes
mono-surface sont des atouts majeurs qui aideront le pilote à garder de la concentration pour son vol."

Font-elles des fermetures ?

C'est rare mais ça peut arriver comme avec toutes les voiles. Une frontale sera très sèche, ins­tantanée : ça claque et ça rouvre aussitôt, ça peut partir sur un quart de tour mais c'est déjà rou­vert. Même chose pour les asy­métriques : ça part vite mais ça rouvre aussitôt avec un change­ment possible de cap d'un quart de tour. Je n'ai jamais vu une mo­no-surface partir en auto-rotation ou coincée avec une cravate.

Doit-on se méfier des basses vi­tesses avec une mono-surface ?

Une mono-surface décroche à une vitesse un peu plus haute qu'une voile classique. Du coup la bascule arrière surprend beau­coup plus. Mais une fois passé cet instant, la voile se comporte de la même manière qu'une autre. La remise en vol est radicale et surprenante mais le peu d'iner­tie et d'énergie de ce mouve­ment pendulaire n'engendre pas grand chose comme problèmes. J'aime bien dire que les voiles mono-surface "picorent" comme les poules : elles font des petits mouvements rapides et vifs mais sans grande amplitude. Parce que le cône de suspentage d'une mo­no-surface est court et du coup il n'y a pas un grand bras de levier, pas d'effet fronde. En outre, la lé­gèreté de la voilure fait qu'il y a très peu d'inertie (due au poids de l'aile et de l'air quelle contient), si bien qu'elle n'ira pas loin devant. Les remises en vol suite à un décrochage provoqué des voiles mono-surface m'ont toujours sur­pris : l'aile re-vole seule, souvent avant même que je contrôle son abattée ! L'amplitude lors d'un dé­crochage est plus petite qu'avec une voile classique, si bien que le pilote se fait souvent surprendre par l'instantanéité de la remise en vol... et c'est ça qui fait émotion, parce que tout se passe très vite.

Et le manque de ressource des mono-surfaces à l’atterrissage ?

Les ailes mono-surface ont bien évolué ces dernières années. Maintenant elles peuvent réali­ser des ressources souvent aus­si belles qu'un parapente clas­sique. Mais les pilotes ne savent pas toujours faire une belle res­source ! Une ressource efficace requiert une gestuelle qu'il faut travailler, en exagérant aussi bien la prise de vitesse (commandes relevées vraiment jusqu'en bu­tée) que l'abaissement des com­mandes (le plus bas possible). Tous les pilotes arrivent à décol­ler et atterrir et prennent cela comme une réussite, mais il faut aller plus loin et se rapprocher de la perfection dans ces deux points cruciaux plutôt que critiquer le matériel.

Les ailes mono-surface sont-elles plus vulnérables en cas de clé ou de pluie ?

Oui ! Il est clair qu'une clé sur une aile de petite surface aura plus d'effet que sur une plus grande. Donc attention à cela, la "pré-vol" sur une mono-surface est capitale ! Quant à la pluie... volons-nous sous la pluie ? Tech­niquement les tissus ultralight (27 grammes, 10D...) sont évidem­ment beaucoup plus vite vulné­rables une fois trempés. Mais cela est vrai sur toutes les ailes ayant ces tissus, quelles soient mono ou bi surface. Mon conseil c'est que s'il pleut il vaut mieux rester chez soi !

Mais on peut être surpris par la pluie ?

Oui bien sûr. Mais il y a de mul­tiples situations différentes qui varient encore selon le niveau de formation et de conscience du pi­lote. Je rappellerai juste quelques bases : le maximum de risque serait de prendre la pluie alors qu'on a décollé avec une voile déjà mouillée. Une voile bien sèche au décollage mettra du temps avant d'être complètement imbibée, on perdra de la performance, mais on pourra agir, par exemple en allant se poser sans tarder, en évitant absolument de freiner, en ne faisant une ressource qu'au tout dernier instant, quand les pieds sont à 10 centimètres du sol. Dans ce type de situation, il n'y aura pas de différence entre une mono-surface et une double surface, mais comme il peut être utile d'accélérer, une mono-sur­face équipée d'un accélérateur, ou de trims comme la Niviuk Skin 3, sera évidemment plus efficace.

Fabien vu de devant avec le parapente mono surface bleu et les montagnes derrière

En vol thermique, une mono-sur­face sera-t-elle aussi efficace qu'une double surface ?

En vol thermique les ailes mo­no-surface sont de vrais bijoux de maniabilité ! Elles se placent facilement dans le centre du ther­mique et redoublent alors d'effi­cacité. Une mono-surface entre les mains d'un pilote d'expérience vous fera l'intérieur en vous saluant gaiement ! En revanche, avec un pilote sans expérience du thermique et du pilotage en turbulence, une mono-surface exigera une bonne gestion sur l'axe de roulis et aura tendance à plonger si l'on ne contrôle pas la commande extérieure, ce qui dé­gradera le taux de chute. Les ailes mono-surface sont exigeantes sur le roulis. Il est donc souhaitable d'être coaché par un "pro" dans une école pour comprendre la gestion des rayons de virage.

Comment s’adapter à la nervo­sité des ailes mono-surface en turbulences ?

Quand vous n'avez pas de réfé­rences autres, cela ne pose pas de problème car vous n'y faites pas attention. Venant du parapente classique, ce côté vif où l'aile ''picore'' toutes les aspérités de l'air peut surprendre dans un premier temps. Mais en volant régulièrement, cette sensation disparaît.

Mais avant de s’y faire, n’y a-t-il pas un risque de sur-piloter ?

Le risque de sur-pilotage vient de la nervosité du pilote et de ses croyances limitantes. Il est vrai qu'un pilote n'ayant pas l'habitu­de du thermique qui se retrouve à 800 mètres/sol en sellette string à 16 heures un après-midi d'été après une longue course en montagne, va vivre une situation psychologique mouvementée. Et si, en plus, il a des pensées limi­tantes sur la finesse détériorée de l'aile face au vent, sur la nervosi­té de l'aile dans la turbulence... ça ne va l'aider à se détendre ! Le risque de sur-pilotage sera alors présent... mais au même titre qu'avec une aile classique. Tout matériel a un potentiel par rap­port à un cahier des charges. Sor­ti de là, il faut renforcer nos com­pétences pour en tirer le meilleur dans toutes les situations.

Tu parles de “croyances limi­tantes", peux-tu en dire plus ?

Le facteur limitant est le peu de temps et d'énergie que les pi­lotes consacrent à progresser : il faut déconstruire les idées et croyances qui nous limitent !

L'accélérateur et les oreilles en mono-surface ?

Les oreilles fonctionnent bien. Par contre, l'accélérateur, lorsqu'il y en a un, n'a que peu d'efficacité.

Les ailes mono-surface semblent plus faciles et plus tolérantes en spirales ?

C'est vrai, et du coup l'aile mo­no-surface est un outil pédago­gique que nous utilisons dans les processus de pilotage avancé. Je les utilise dans mes stages SIV Flyeo car ce sont des ailes faciles pour aborder les rotations et s'acclimater à la force centri­fuge et au contrôle des angles de rotation. Si l'élève panique, l'aile ressort d'elle-même, s'il relève les mains bien sûr. Et en plus, elle ressort sans énergie pendulaire à gérer. C'est un grand confort pour l'apprentissage et la découverte de la force centrifuge. L'aile mo­no-surface est un formidable outil pour découvrir les spirales.

La neutralité spirale peut-elle survenir sur une mono-surface ?

Non ! Et c'est aussi pour cela que les ailes mono-surface sont un formidable outil pédagogique. La structure d'une mono-surface ne permet pas de se retrouver face planète lors d'une spirale et son suspentage court limite fortement la force centrifuge. Le pilote sera donc beaucoup moins impres­sionné, et même si en forte rota­tion il se laissait tomber dans la sellette sans contrer, il lui suffirait de relever complètement les com­mandes pour que la voile sorte seule de la spirale. C'est une des raisons pour lesquelles en stages SIV ou de Pilotage Avancé, j'uti­lise occasionnellement des ailes mono-surface pour développer la confiance dans les rotations.

Une mono-surface est-elle aussi solide et vieillira-t-elle aussi bien qu'une double surface ?

Si elle a des coutures de renfort sur les points d'attache et des galons au bord de fuite, elle ré­sistera aussi bien qu'une autre aile. Et peut-être même mieux car elle subira moins de contraintes (dynamique, centrifuge, pression interne) et passera probablement moins de temps en l'air, donc moins d'exposition solaire. Atten­tion par contre, comme pour toute aile, à ne pas la stocker humide !

Peut-on découvrir le parapente avec une mono-surface ?

Oui. Sa faible inertie, sa réactivi­té de contrôle au sol, sa stabilité pendulaire, sont des atouts ma­jeurs qui aideront le pilote à gar­der de la concentration pour son vol. Nous organisons des stages dédiés aux ailes mono-surface en expliquant une progression lo­gique de la pratique du vol libre.

Mais le pilote qui aura découvert le parapente avec une mono-sur­face n’aura-t-il pas des difficul­tés s'il veut ensuite voler en double surface ?

Comme sur chaque matériel dif­férent, il y aura des petits ajus­tements à faire pour passer d'un type de voile à l'autre. Mais si le pilote a acquis les fondamentaux d'un décollage, d'un plan de vol anticipé et d'une prise de terrain adaptée, la transition se fera faci­lement. En passant à une double surface, les amplitudes des mou­vements aux commandes devront être plus importantes, le temps de réaction à la commande sera plus grand, les rayons de virages seront plus grands, les ampli­tudes pendulaires seront plus importantes. Il sera donc utile pour un pilote ayant débuté en mono-surface de revenir en stage pour développer ces nouvelles sensations.

A fourchette de poids équiva­lente, les mono-surfaces ont des surfaces plus restreintes. Quelle surface choisir ?

Pour la plupart des pilotes, ce sera un choix entre 16 et 18 m2. La différence se joue plus sur le niveau de pilotage et la prise en charge que sur la vitesse. Les 13 ou 14 m2 sont très vives, ont une prise en charge plus limitée et sont évidemment plus exigeantes en pilotage. Et les 20 m2 se desti­nent à des pilotes lourds ou vrai­ment débutants ou plus âgés.

Certains pilotes font des mi­racles avec des mono-surface ?

Ah oui ! Quand je vois la précision de vol et le jeu dans le vent d'un Axel Coste avec sa AirG ou d'un Julien Irilli dans nos Alpes, ou en­core ce qu'a fait un Benjamin Vé- drines ou un Julien Dussère dans les Ecrins ou en Himalaya, je me dis que ce type de voile n'a vrai­ment rien de pénalisant !

Il existe maintenant une bonne dizaine de modèles mono-sur­face différentes. Lesquelles connais-tu et quelles sont leurs spécificités à tes yeux ?

Je ne les ai pas toutes essayées. Je connais bien la Niviuk Skin 3 P qui reste une belle aile, mais ce n'est pas la plus récente et elle ne bénéficie pas encore d'un posé ressource efficace. Les Dudek Run&fly 1 et 2 sont super light et compactes, elles ont des res­sources au top mais elles sont un peu plus exigeantes au décollage sans vent que leurs concurrentes. L'air Design UFO 2 est ma préfé­rée car elle remplit parfaitement mon cahier des charge en école : facilité, stabilité, durabilité, qualité de fabrication, ressource au posé. Je viens aussi d'essayer la Ronin, qui est une base d'UFO 2 allégée et c'est mon coup de cœur, l'ai­le de mes rêves : elle gagne en vitesse, en performances et en compacité. Bien sûr elle sera pro­bablement un peu moins durable car les matériaux employés sont très fins. J'en ai essayé d'autres, comme les Vril ou V-King mais elles ne correspondaient pas à mon cahier des charge. Et j'at­tends de pouvoir essayer la nou­velle Skywalk Pace et la Dent de lion de AirG.

Quelle est la mono-surface la plus facile et la plus tolérante pour débuter ?

Sans hésiter la UFO 2, c'est la plus récente et la plus aboutie.

En biplace aussi ?

Les deux biplaces sont bons, le UFO comme le Skin. Ils sont très légers, très compacts. Le UFO a une meilleure ressource à l'atter­rissage mais il est plus physique.

Un dernier mot ?

Je veux revenir sur la pré-émi­nence du pilote sur le maté­riel. La sécurité ne réside pas seulement dans le fait d'avoir du matériel facile à voler. Il faut comprendre que l'erreur est hu­maine et que quand le vol se complexifie nous avons plus de mal à réfléchir en mode solution... alors l'incident n'est pas loin. Peu importe le matériel employé, l'im­portant est de faire un travail sur nos compétences, notre discer­nement, nos prises de décision. Si l'on se sent hésiter souvent, si l'on a du mal à prendre une dé­cision ou à oser agir, c'est que notre vol est trop complexe. Nous devons alors revoir à la baisse les conditions dans lesquelles nous volons et nos objectifs, pour avoir cette marge psychologique qui permettra de voler en sécurité et avec plus de plaisir.